Michèle Babinet a rancontré Charlot Jeudy en France à l'occasion de (la 20ème marche des fiertés
C'est dans la semi-canicule de juin, à la terrasse presqu'à l'ombre d'un café de Montreuil que nous faisons connaissance, devant un jus de pommes. Charlot Jeudy revient de Lyon où il participait à une rencontre des mouvements LGBTI[1] (la 20ème marche des fiertés) et repart le lendemain pour Haïti.
Il est né à Port-au-Prince, mais ses parents venaient de la province. IL a fait ses études primaires et secondaires à Port-au-Prince. Très tôt sa façon d'être, son attitude, sa manière de parler, son style efféminé font qu'il est remarqué comme n'étant pas dans la norme. Vers 16-17 ans il sait qu'il aime les hommes, qu'il est différent. Mais jour après jour, c'est cette différence assumée et affirmée qui construit son « être au monde », sa personnalité, ses engagements, sa place.
Pas toujours simple, ni facile bien évidemment, et il raconte deux épisodes qui l'ont marqué. Lorsqu'il était en terminale, en philo, il voulait être président de la promotion (ce président en Haïti a un rôle dans les activités socio-culturelles par exemple). Ses camarades lui disaient, « certes, tu serais bien dans ce rôle mais on ne veut pas d'un président efféminé et gesticulant comme toi ». Mais il est quand même devenu président... Grâce au vote des filles ! Plus douloureux, le rejet d'un ami de longue date (de la 7ème à la philo) qu'il croise dans la rue. Charlot Jeudy le hèle d'un geste et de la voix, l'autre ne répond pas, peut-être ne l'a-t-il pas vu, il veut le croire... Mais il apprend qu'il l'avait parfaitement vu et entendu mais qu'il ne répondait pas au salut d'un homo.
Les difficultés ne vont pas abattre Charlot Jeudy. Il a confiance en lui et la conscience claire que ce sont les autres qui ont tort de rejeter ceux qui sont différents.
Il aime son pays, il aime la société haïtienne, ce peuple haïtien c'est le sien et il le veut plus libre, plus ouvert, plus éduqué. Alors il choisit de rester en Haïti. Il a fait des études de droit après le lycée et il aurait pu partir à Paris. Mais il se sent la responsabilité de : «faire entendre et comprendre aux Haïtiens qu'on peut vivre ensemble en ayant une religion, une nourriture ou une sexualité différente. »
La première association qu'il lance en 2009 s'appelle « Zanmizanmi » : un lieu pour offrir un espace de parole et de rencontre aux homosexuels. Cela se passe chez un ami qui vivait seul et ouvre sa porte aux amis d'amis, on y passe des soirées pour danser ensemble et bavarder. D'une dizaine de membres au commencement, l'association s'étoffe, s'ouvre vers des associations culturelles et élargit son réseau aux Gonaives, à Saint Marc, Bel Air et Léogane.
Après le tremblement de terre, les évangélistes fondamentalistes venus des USA vont propager l'idée que c'est « le mal » de la société haïtienne qui a apporté ce châtiment du tremblement de terre et ce « mal » ce sont les homosexuels, ils sont « gâtés » par un mauvais esprit vodou. Cette attitude va aggraver le rejet des homosexuels.
Or il nous apparaît à nous, dit Charlot Jeudy, que : « ce n'est pas l'homosexualité le mal, mais l'homophobie. Alors nous voyons qu'il faut trouver une parole, un discours politique sur cette question, pour nous changer nous les Haïtiens. Haïti a besoin de nous pour que demain soit meilleur. Nous nous lançons donc alors dans un discours haïtien, un discours créole sur la communauté M. Nous créons un site : www.kouraj.org, nous prenons des positions publiques. Notre discours est tourné vers les homosexuels mais aussi vers les « progressistes ». Même si nos textes ne sont pas, hélas, relayés par les médias les plus connus, ils le sont à l'université, surtout en sciences humaines, et assez peu dans le milieu artistique (mis à part Lyonnel Trouillot). Le respect que nous demandons rejoint le respect de l'autre dans les valeurs chrétiennes.
Du point de vue juridique, l'homosexualité en Haïti n'est ni interdite ni condamnée ; Mais lorsque le bureau de notre association a été attaqué et que nous avons porté plainte, il n'y a eu aucun suivi car la justice en Haïti est corrompue. Du point de vue international, nous avons peu de liens avec l'Afrique où les problèmes sont peu différents des nôtres.Nous avons des alliés en République Dominicaine, en Jamaïque, aux Antilles, au Canada, aux Pays-Bas.
Nous restons confiants. La vie de famille, la pratique vodou sont assez tolérantes. Mais notre pays est mal géré, mal gouverné (corruption, favoritisme, violence..). Ceux qui nous gouvernent n'aiment ni le pays, ni son développement. Le peuple haïtien a besoin de liberté, d'épanouissement, de travail, d'éducation. Haïti a besoin que les Haïtiens se mobilisent pour qu'enfin les responsables élus pratiquent une politique qui soit au service de l'ensemble de la population. »
La communauté M
En créole haïtien, un masisi est une personne qui joue «un rôle féminin» dans sa vie sociale et sexuelle, explique Charlot Jeudy. Les femmes ayant des rapports homosexuels sont pour leur part appelées madivin. Elles se distinguent des «lesbiennes» (tel qu’on entend ce terme en Occident) dans la mesure où elles peuvent n’avoir des relations homosexuelles que de manière épisodique. Quant aux makomer, ce sont des hommes qui ont une identité radicalement féminine. Les makomer ne se reconnaissent pas dans l’appellation «transgenre», car ils peuvent considérer que leur identité n’est pas complètement féminine. Enfin, le mot «mix» désigne une personne ayant des rapports sexuels aussi bien avec des hommes qu’avec des femmes. Mais il se peut que des personnes mix se disent hétérosexuelles. En Haïti, le terme «hétérosexuel» désigne des personnes qui revendiquent le fait d’appartenir à la norme, de jouer un rôle social hétérosexuel (être marié-e avec une personne du sexe opposé, avoir des enfants, etc.). Avoir des relations homosexuelles ne les empêche pas d’être perçues comme hétérosexuelles.


